Il aura fallu huit longues années de recherche à une équipe internationale dirigée par des neuroscientifiques de l'Université de Montréal pour découvrir un mécanisme moléculaire physiologique qui permet de mieux comprendre le fonctionnement de la sclérose latérale amyotrophique (SLA) ou maladie de Lou Gehrig.
La découverte de ce mécanisme pourrait un jour mener à un nouveau traitement pour cette maladie dégénérative qui entrave la capacité du cerveau à communiquer avec les muscles, ce qui conduit à la paralysie et à la mort prématurée des patients.
« C'est un récit de recherche fondamentale qui porte sur ce qui se produit normalement dans les cellules du corps et les changements qui surviennent dans le contexte de la SLA », affirme Jade-Emmanuelle Deshaies, associée de recherche en neurosciences au Centre de recherche du Centre hospitalier de l'Université de Montréal et auteure principale de l'étude commune Canada-Israël publiée en ligne récemment dans le journal Brain.
« Bien que de tels travaux n'entraînent pas instantanément la mise au point de nouveaux traitements de la SLA, ils permettent d'approfondir notre compréhension de la maladie. La sclérose latérale amyotrophique est une maladie très complexe qui dérègle de nombreuses fonctions cellulaires. Ce genre de recherche fournit des renseignements importants pour le ciblage futur de médicaments ainsi que l'élaboration de marqueurs biologiques qui ont pour but de détecter la maladie plus rapidement et de suivre sa progression. »
L'étude a commencé il y a huit ans, lorsque Mme Deshaies et sa superviseure, la professeure du Département de neurosciences de l'UdeM Christine Vande Velde, ont commencé à s'intéresser à ce qui arrive à diverses molécules quand la protéine TDP-43, qui lie les « messagers » de la cellule connus collectivement sous le nom d'ARN et qui constitue un élément central de la SLA, est retirée de la cellule.
« Nous nous intéressions plus particulièrement à d'autres types de protéines de liaison à l'ARN qui pourraient jouer un rôle important dans le fonctionnement de la maladie, se souvient Mme Deshaies. L'une d'entre elles, hnRNP A1, a attiré notre attention, puisqu'il en existe un deuxième type, rarement mentionné dans la littérature scientifique. »
Les concepts scientifiques derrière cette découverte
Voici d'abord quelques notions de base.
En biologie moléculaire, les gènes codent l'ARN, qui est ensuite transformé en protéines, des composantes essentielles de la cellule. Il existe différentes versions de l'ARN, qui codent chacune de nombreuses versions d'une protéine. TDP-43, par exemple, se lie à l'ARN et peut modifier la manière dont il est épissé, comme dans une séquence ABCD ou ABCEFG. Il s'agit d'un processus nommé «épissage alternatif». La protéine hnRNP A1, qui se lie également à l'ARN, est épissée en deux variantes régulées par TDP-43.
Mais pourquoi ces notions sont-elles importantes pour comprendre la SLA? Parce que TDP-43 est l'une des composantes principales des substances inertes de la cellule, appelées « inclusions cytoplasmiques », qui sont observées dans 97 % des cas de la maladie.
« Les données que nous avons recueillies indiquent que, lorsque TDP-43 est soit complètement absente de la cellule, soit absente du noyau cellulaire, il est possible de modifier le type d'épissage de hnRNP A1, selon Christine Vande Velde. De manière globale, il faut retenir que la dérégulation du métabolisme de l'ARN est beaucoup plus importante que ce qu'on croyait auparavant. Grâce à cette information, nous avons une meilleure compréhension des éléments qui fonctionnent mal et nous pouvons potentiellement concevoir un nouveau traitement qui cible ce mécanisme. »
L'amyotrophie spinale, autre maladie des motoneurones
En parallèle, des recherches portent sur une autre maladie des motoneurones, l'amyotrophie spinale. Les scientifiques connaissent le rôle de hnRNP A1 dans la progression de la maladie : elle contrôle l'épissage d'un gène de premier plan nommé « SMN », pour survival motor neuron ou survie du motoneurone. La professeure Vande Velde et son équipe ne savent pas encore si la nouvelle variante d'épissage qu'elles ont mise au jour modifie les niveaux ou la fonction du gène SMN, mais elles soulignent l'existence depuis l'an dernier d'un nouveau traitement pharmaceutique de l'amyotrophie spinale, qui cible l'épissage du gène SMN par la protéine hnRNP A1.
« Le médicament, le nusinersen, est commercialisé sous le nom de Spinraza, dit la professeure. S'il est administré assez tôt aux bébés, il peut guérir l'amyotrophie spinale. Des tout-petits qui n'étaient pas capables de se tourner ou de marcher peuvent désormais le faire. Des enfants qui seraient normalement morts à l'âge de deux ou trois ans franchissent maintenant les étapes du développement moteur. Ce médicament semble être une véritable cure pour les formes les plus graves de la maladie. »
Conçu par des chercheurs de l'Université du Massachusetts, le traitement est intéressant pour Mme Vande Velde, car les travaux qui ont mené à sa mise au point s'inscrivent dans une démarche semblable à celle de son équipe, soit « tenter de comprendre comment un gène est épissé ». Il s'agit d'une approche thérapeutique issue de la compréhension d'un mécanisme moléculaire qui comprend l'épissage alternatif.
« Il leur a fallu de nombreuses années pour en arriver là et, de la même manière, notre travail ne représente que la première étape du processus, ajoute-t-elle. Nous devons vérifier s'il existe réellement un effet sur l'expression ou l'épissage du très important gène SMN ou d'autres gènes qui jouent un rôle crucial dans la survie des motoneurones. »
La ténacité porte ses fruits
Le travail de son laboratoire est également une histoire de persévérance. Comme le mentionne Mme Deshaies, «en science, le parcours se fait rarement sans détour. Il faut souvent emprunter un chemin sinueux pour pouvoir expliquer et véritablement comprendre les phénomènes observés ».
« Nous étudions un mécanisme qui n'a jamais fait l'objet de recherches auparavant, signale Mme Vande Velde. Nous avons obtenu des résultats préliminaires contradictoires et il nous a fallu du temps pour comprendre le rôle de TDP-43. Le projet est le fruit d'un travail d'équipe colossal. Les membres de l'équipe basés à l'Université hébraïque de Jérusalem, à l'Université de Montréal et à l'Université de Sherbrooke ainsi qu'à l'University Western ont tous apporté des contributions majeures. »
Plus d'études portent sur la SLA au Québec que partout ailleurs au pays, et les travaux de l'UdeM ont été financés par des subventions du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada et par la Société canadienne de la sclérose latérale amyotrophique, un organisme sans but lucratif. D'où l'importance de diffuser de telles découvertes, même si elles ne mènent pas immédiatement à de nouveaux traitements.
« Je crois qu'il est important de faire connaître aux patients et à leurs familles les découvertes faites grâce à leurs dons, comme dans le cadre du défi du seau d'eau glacée, déclare Mme Vande Velde. De nombreuses familles souhaitent en apprendre davantage sur l'aspect moléculaire de la maladie et la manière dont nous l'étudions, et elles comprennent qu'il s'agit d'une étape déterminante de l'élaboration d'un traitement. »
À propos de cette étude
L'article « TDP-43 regulates the alternative splicing of hnRNP A1 to yield an aggregation-prone variant in amyotrophic lateral sclerosis », écrit par Jade-Emmanuelle Deshaies et d'autres collaborateurs, a été publié le 19 mars 2018 dans le journal Brain. doi 10.1093/brain/awy062.