Une équipe de recherche pancanadienne montre pour la première fois que les réservoirs du VIH se concentrent dans la rate et les ganglions, et qu’ils peuvent voyager dans le corps humain.
Un petit nombre de cellules infectées par le VIH persistent sur le long terme dans les tissus des personnes sous trithérapie. La communauté scientifique connait depuis longtemps l’existence de ces réservoirs viraux, véritables obstacles à la guérison du VIH.
Jusqu’à maintenant, elle ne savait pas dans quels organes ils se cachaient préférentiellement.
Une équipe du Consortium canadien de recherche sur la guérison du VIH (CanCure) menée par Nicolas Chomont, chercheur au Centre de recherche du CHUM (CRCHUM) et professeur à l’Université de Montréal, est parvenue à identifier ces adresses clandestines, qui pourraient devenir les cibles de futures thérapies.
Dans l’étude publiée dans la revue Cell Reports, les scientifiques révèlent que les virus génétiquement intacts, responsables du rebond viral si la trithérapie est interrompue, se concentrent dans les tissus profonds de la rate et des ganglions, des organes du système immunitaire.
« Ces résultats, nous les devons d’abord à la générosité de deux Canadiens en fin de vie, atteints du VIH et sous trithérapie. En donnant leurs corps à la science, ces hommes ont contribué à nos travaux de façon unique, dit Nicolas Chomont. C’est extrêmement rare de pouvoir analyser post mortem la présence ou non de réservoirs viraux dans autant d’organes d’un même corps humain. Une quinzaine dans ce cas-ci ».
Cartographier les réservoirs chez l’humain
Au CRCHUM, Caroline Dufour, doctorante dans le laboratoire de Nicolas Chomont et première auteure de l’étude, a développé des méthodes d’analyse ultrasensibles pour localiser les cachettes privilégiées des réservoirs viraux dans l’organisme.
Grâce à un protocole permettant d’analyser les quelques génomes viraux persistant dans les tissus, elle a pu identifier les organes dans lesquels le VIH « vivant » se cache préférentiellement.
« Chez le donneur originaire d’Ottawa, les virus génétiquement intacts se concentraient dans les ganglions et la rate. Dans les tissus du participant d’Edmonton, ils se retrouvaient de façon majoritaire dans les mêmes organes même si on pouvait aussi en tracer de plus faibles concentrations dans d’autres tissus », indique Nicolas Chomont.
Une fenêtre de tir potentielle
Grâce aux analyses, Caroline Dufour a pu aussi mettre en évidence que des organes distants, par exemple les cellules d’un ganglion axillaire (aisselle) et celles d’un ganglion inguinal (aine), pouvaient abriter des génomes identiques de VIH intacts.
« Cela suggère que les cellules infectées qui abritent ces virus “endormis” ont la capacité de voyager à travers le corps, de changer d’organes. Et ce, même avec la trithérapie en place. Le réservoir est donc très dynamique, bien plus que nous ne le pensions », explique Nicolas Chomont.
Cette recirculation des cellules infectées dans le corps présente un avantage thérapeutique indéniable. Loin de leurs cachettes dans les tissus profonds, elles deviennent dès lors visibles du système immunitaire et susceptibles d’être attaquées, puis supprimées.
Actuellement, l’équipe de Nicolas Chomont détient des échantillons de tissus d’un troisième donneur canadien. Elle compte sur d’autres dons de corps pour lancer des analyses visant notamment à déterminer dans quelle partie de l’organisme le virus est le plus actif.
À propos de l’étude
L’article « Near full-length HIV sequencing in multiple tissues collected reveals shared clonal expansions across distinct tissue reservoirs during ART », par Caroline Dufour et ses collègues, a été publié en ligne le 6 septembre 2023 dans la revue Cell Reports. Le financement de l’étude a été assuré par les Instituts de recherche en santé du Canada, le Consortium canadien de recherche sur la guérison du VIH (CanCURE) et le Réseau SIDA et maladies infectieuses du Fonds de recherche du Québec-Santé.