Sismologie cellulaire

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Les cellules tremblent. Un peu comme pour notre planète Terre, dont les vibrations sont utilisées par les sismologues pour caractériser sa structure profonde, des scientifiques ont découvert un moyen d'utiliser les vibrations à l'intérieur des cellules pour déterminer ses propriétés mécaniques. La sismologie cellulaire est née.
 

« Nous avons développé une technique unique pour cartographier à l'échelle de la milliseconde l'élasticité des composantes à l'intérieur d'une cellule. Cela ouvre un tout nouveau champ de recherche en mécanobiologie, pour étudier la dynamique des mouvements dans les cellules et comprendre l'impact de ces forces sur les maladies et les traitements », raconte Guy Cloutier, chercheur au Centre de recherche du Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CRCHUM) et professeur à l'Université de Montréal.

Cette technologie appelée « élastographie de tremblement des cellules » est présentée dans un article publié aujourd'hui dans Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS).

L'élasticité est une propriété cellulaire fondamentale liée à l'anatomie, la fonctionnalité et l'état pathologique des cellules et des tissus. Une tumeur cancéreuse devient rigide. L'athérosclérose et l'anévrisme vasculaire débutent par une perte d'élasticité des cellules et des artères. Les cellules endothéliales libèrent des transmetteurs qui provoquent une vasoconstriction ou une vasodilatation des vaisseaux sanguins selon les conditions mécaniques de cisaillement associées à l'écoulement et à la géométrie du vaisseau. 

« Jusqu'à maintenant, on arrivait difficilement à mesurer les transformations mécaniques qui surviennent en continu dans les cellules. Les techniques actuelles, basées sur la déformation cellulaire, par microscopie à force atomique ou la diffusion de Brillouin, peuvent prendre plusieurs dizaines de minutes pour obtenir une mesure d'élasticité. Pour certaines applications, c'est beaucoup trop lent, parce qu'il peut se passer des milliers d'événements dans une cellule, comme des transferts d'ions, des stimulations neuronales, la mort cellulaire. Ces phénomènes pourraient être plus faciles à suivre, et la nouvelle technologie d'imagerie développée ici est capable de mesurer très rapidement les propriétés mécaniques de la cellule », explique Pol Grasland-Mongrain, postdoctorant dans le laboratoire de Guy Cloutier et premier auteur de l'étude.

Avec un appareillage simple comprenant un microscope standard, des micropipettes et une caméra à haute vitesse, les chercheurs ont développé une méthode révolutionnaire pour observer en direct les mouvements et forces en présence dans des ovules de souris. Greg FitzHarris, chercheur au CRCHUM et professeur à l'Université de Montréal qui a collaboré à ce projet, mentionne que « cette nouvelle modalité d'imagerie cellulaire pourra permettre l'étude de nouveaux mécanismes associés à la division cellulaire lors de la formation d'embryons ».

« Au début, on n'avait aucune idée du niveau de résolution spatiale qu'on pouvait espérer, d'où l'idée d'utiliser des ovules de souris. Ce sont des grosses cellules d'environ 80 microns de diamètre, elles sont donc plus faciles à visualiser. Dans nos expériences, nous avons pu observer des vibrations mécaniques dans la cellule de moins d'un millième de seconde, grâce à la caméra utilisée, capable d'acquérir 200 000 images par seconde », explique Guy Cloutier. À titre de comparaison, un film au cinéma comporte habituellement 25 images par seconde.

Les images acquises permettent de mesurer ces vibrations à l'aide d'algorithmes de suivi de mouvement. Mais comment reconstruire une cartographie d'élasticité intracellulaire à partir de ces vibrations? En utilisant une technique de corrélation de bruit, une approche développée par les sismologues lorsqu'ils mesurent les vibrations produites par les tremblements de terre pour déterminer la composition des roches souterraines.

« Nous avons utilisé ce même principe pour explorer l'intérieur de la cellule du point de vue mécanique, en appliquant l'élastographie par ondes de cisaillement à l'échelle micrométrique. On envoie une onde dans la cellule, et la vitesse est proportionnelle à l'élasticité des composantes qu'elle rencontre, comme le cytoplasme, le noyau ou les autres composantes de la cellule. On mesure l'élasticité en évaluant la vitesse des vibrations dans le temps et dans l'espace », fait valoir Stefan Catheline, physicien à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et chercheur à l'Université de Lyon, en France.

Pol Grasland-Mongrain explique comment il a procédé pour mener ses observations. « À l'aide d'une micropipette, nous avons induit des vibrations haute fréquence (15 000 cycles par seconde) dans des ovules vivants de souris. À partir des images acquises par la caméra, nous avons mesuré les vibrations dans la cellule, en utilisant un algorithme de flux optique développé initialement pour des applications en ultrasons. Ensuite, l'algorithme de corrélation de bruit nous a permis de cartographier l'élasticité de la cellule entière. Ainsi, dans cette étude, nous avons notamment pu montrer une diminution significative de l'élasticité des ovules de souris lorsqu'on les traite avec de la cytochalasine, une substance connue pour perturber leur cytosquelette », dit-il.

Cette technologie novatrice de cartographie de l'élasticité des cellules ouvre donc la voie à de nombreuses applications pratiques en biologie et en médecine, qu'on pense au cancer, à l'infection par des pathogènes, à la cicatrisation ou au génie tissulaire. « Maintenant qu'on a montré la faisabilité de la technologie, on veut perfectionner la méthode et développer des collaborations avec des experts en biologie cellulaire et moléculaire, en physiologie et en mécanobiologie pour explorer le potentiel incroyable de ce champ de recherche », conclut Guy Cloutier. 

À propos de cette étude

L'article « Ultrafast Imaging of Cell Elasticity with Optical Microelastography » a été publié le 15 janvier dans Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS). Cette étude a été réalisée conjointement par Pol Grasland-Mongrain, sous la direction de Guy Cloutier au Centre de recherche du Centre hospitalier de l'Université de Montréal (Canada), et par Ali Zorgani, sous la direction de Stefan Catheline, de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), Université de Lyon (France), en collaboration avec l'équipe de Greg FitzHarris au CRCHUM. Les travaux ont été financés principalement par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), les Fonds de recherche du Québec – Nature et technologies (FRQNT) (PR-174387) et les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) (MOP-84358 et MOP-142334). La technologie fait l'objet d'un brevet. DOI : 10.1073/pnas.1713395115

 

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