Tromper le cerveau pour contrôler nos symptômes
Cet article est extrait du CHUMAGAZINE - été 2023
Votre enfant annonce qu’on a découvert des poux dans sa classe. Parions que la tête va commencer à vous gratter… Parce que votre cerveau sait que des poux, ça pique! Mais il lui arrive parfois de nous jouer de bien plus mauvais tours. Il peut générer des symptômes incapacitants alors que les examens ne révèlent aucune cause organique.
Des convulsions sans épilepsie, par exemple. Des troubles du mouvement ou des douleurs neurologiques sans qu’on puisse en trouver les causes. Ou encore, des troubles de la déglutition ou cognitifs que rien n’explique. C’est dans notre imagination, alors? Pas du tout! Les symptômes existent bel et bien. Bienvenue dans le monde des troubles neurologiques fonctionnels (TNF), à la frontière entre la neurologie et la psychiatrie.
Une clinique spécialisée pour traiter les TNF
La ligne entre les deux spécialités est tellement mince que le CHUM a ouvert, en 2018, une clinique qui se consacre aux TNF. « Il fallait trouver une façon d’améliorer le soutien offert à des gens dirigés à gauche et à droite pendant des années », explique Pierre-Luc Lévesque, physiothérapeute, chercheur, et initiateur du projet.
Pour la Dre Arline-Aude Bérubé, neurologue et responsable du programme TNF, les troubles neurologiques fonctionnels font penser à un ornithorynque, cet étrange mammifère qui pond des œufs. « C’est un oiseau ou pas? On ne peut pas le classifier. Comme les TNF. À force d’essayer de caser un patient dans une catégorie, on finit par lui nuire. Souvent, on doit soigner autrement. C’est ce que nous faisons maintenant au CHUM. »
Un programme d’intervention en TNF unique au pays
« Selon diverses études, une moyenne de 15 % des patients à qui l’on explique ce qu’est un TNF et à qui on dit que les symptômes sont réversibles arrête presque spontanément d’avoir un TNF », souligne la Dre Bérubé. Au CHUM, si les symptômes persistent après l’annonce d’un diagnostic de TNF, on peut proposer le programme d’intervention TNF. Une équipe multidisciplinaire (neurologues, neuropsychiatres, ergothérapeutes et physiothérapeutes) se met alors en œuvre.
Le programme d’intervention TNF de la clinique est tellement novateur que l’équipe a conçu une formation pour le personnel de la santé. L’événement d’une journée a fait salle comble. La prochaine formation, destinée au personnel du CHUM et du réseau de la santé et des services sociaux, devrait avoir lieu à l’automne.
Pour bénéficier de ce programme, unique au pays, il faut accepter le diagnostic. Ou, à tout le moins, avoir une ouverture au fait qu’un TNF soit à l’origine de nos symptômes. Près de 50 % des gens à qui la clinique propose le programme d’intervention acceptent de se lancer dans l’aventure. Et les résultats sont au rendez-vous! 88 % des patientes et des patients qui ont suivi le programme ont atteint tous les objectifs fonctionnels.
« Dès le premier jour, j’ai retrouvé l’équilibre »
Stanley Ayotte ne tarit pas d’éloges envers le programme. Il y a accédé après plusieurs années d’enfer, à la suite d’une commotion cérébrale. Quand son neurologue le dirige vers le CHUM, Stanley Ayotte se tient à peine debout. Il éprouve des vertiges. Lire est rendu difficile et sa parole est saccadée. Le diagnostic est confirmé et la clinique TNF lui offre de participer au programme. « La médecin m’a dit que mes symptômes étaient réversibles et j’ai soudainement vu le bout du tunnel », raconte le patient. Dès le premier jour, il remarque une amélioration. De rencontre en rencontre, il reprend le contrôle de son corps. « Je m’arrêtais devant un escalier, par exemple, parce que je ne pouvais pas monter les marches. Pierre-Luc me demandait Pourquoi tu t’arrêtes? Et il me disait de monter. Et je réussissais! »
L’histoire de Stanley Ayotte n’est pas unique. Les raisons de consulter la clinique (sur référence médicale) sont variées : douleur chronique, symptômes après un vaccin, encéphalite myalgique, etc.
Chaque fois, la réadaptation et le suivi permettent d’accomplir ce qui semblait impossible avant. Pierre-Luc Lévesque mentionne une patiente qui n’arrêtait pas de tomber et qui maintenant danse. Sa collègue Delphine Bélanger, ergothérapeute, quant à elle, évoque un patient qui présentait tous les symptômes d’un coma sans y être.
« Dites au monde ce que c’est, les TNF. Si je n’avais pas suivi le programme TNF, je ne pourrais rien faire aujourd’hui. »
— Stanley Ayotte, patient
Comment ça fonctionne?
« Le TNF n’est qu’une erreur parmi toutes celles que peut faire le cerveau. C’est multifactoriel, et ça peut arriver à n’importe qui », selon la Dre Arline-Aude Bérubé, neurologue. Les facteurs de risque sont nombreux. Biologie, psychologie, social, culture et environnement (dont les médias sociaux) peuvent être en cause.
Le programme d’intervention TNF de la clinique s’appuie sur le modèle théorique du cerveau bayésien (du nom d’un grand mathématicien, Bayes). Selon cette théorie, le cerveau ne répond pas aux stimuli — plutôt, il les prédit et fait réagir le corps en conséquence. Ce peut être très utile dans certaines situations — par exemple, pour éviter une brûlure en présence d’une flamme. Mais le cerveau peut, involontairement, faire de mauvaises prédictions. Souvent. « Jusqu’à 50 % des visites médicales en première ligne [médecine familiale, par exemple] aboutissent à une absence de maladie » précise la Dre Bérubé.
La bonne nouvelle, c’est qu’on peut « reprogrammer » le cerveau, pour qu’il contrôle ses perceptions. Un exemple simple? Le trac. Il peut entraîner nausées, souffle court, tremblements, mal de ventre, etc. Si vous vous dites que la situation est normale et que vous allez bien vous en tirer, votre cerveau suivra votre prédiction et diminuera les symptômes.
En présence d’un TNF, les prédictions du cerveau sont tellement intenses qu’il ne maîtrise plus les signaux qu’il envoie au corps. Pour combattre les TNF, il faut comprendre le fonctionnement du cerveau et le « reprogrammer ». Et affronter des actions et des activités quotidiennes qui génèrent de l’anxiété… Comme l’a fait Stanley Ayotte tout au long de sa réadaptation en physiothérapie et ergothérapie dans le cadre du programme TNF du CHUM.
« La culture des TNF doit changer. Il faut que les gens comprennent que les symptômes sont réels, mais réversibles avec la bonne approche. »
— Dre Arline-Aude Bérubé, neurologue
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