Du haut des escaliers du pavillon R du Centre de recherche du CHUM, les Drs Petronela Ancuta, Nicolas Chomont, Andrés Finzi et Daniel Kaufmann ont le sourire en bandoulière. Dans un coin, un photographe attend une trêve dans leur jeu de poses enfantines pour immortaliser leur sincère complicité. Une chimie palpable entre ces chercheurs qui n’est pas étrangère au fait qu’ils ont réussi à décrocher deux importantes subventions des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) en avril 2019.
« Dans le domaine de la guérison du VIH, il est rare de pouvoir combiner les expertises en immunologie, virologie et biologie structurale de quatre chercheurs principaux au sein d’un même centre de recherche. À ma connaissance, nous sommes l’un des seuls centres en Amérique du Nord à bénéficier d’une telle complémentarité », dit Nicolas Chomont.
D'ajouter Andrés Finzi que « la vision stratégique du CRCHUM d’avoir une masse critique de chercheurs experts dans le domaine du VIH est la bonne, car le retour sur investissement est incroyable ». Les résultats du concours des IRSC « Subvention d’équipe : recherche biomédicale et clinique sur le VIH/sida » ne le contrediront pas.
Dans le volet « Recherche biomédicale et clinique sur le VIH/sida — Guérison — grandes », l’équipe pancanadienne du Consortium canadien de recherche sur la guérison du VIH (CanCURE), dont font partie Petronela Ancuta et Nicolas Chomont, a reçu 6 millions de dollars sur 5 ans pour son projet « Canadian HIV Cure Enterprise 2.0: Targeting the interplay between myeloid cells and CD4+ T-cells for HIV cure ». Deux des trois volets de ce projet sont codirigés par les deux chercheurs. Ils recevront respectivement un financement de 500 000 $.
Quant à Finzi et à Kaufmann, ils disposeront d’une subvention de 2 millions sur 5 ans accordée pour le projet « Unlocking HIV-1 Env Towards a Cure » issu du volet « Recherche biomédicale et clinique sur le VIH/sida — Guérison — ciblées ».
Défricher de nouvelles contrées
Derrière CanCURE, mis sur pied en 2014, se cache une collaboration scientifique pancanadienne unique méconnue du grand public. Avec des objectifs clairs : étudier les mécanismes de persistance du VIH durant la thérapie antirétrovirale et développer des stratégies en vue d’une guérison fonctionnelle du VIH.
Petronela Ancuta fait partie de cette aventure scientifique depuis le début.
« Entre 2014 et 2019, nous avons axé nos travaux sur l’identification de nouvelles cibles thérapeutiques pour des stratégies shock and kill et block and lock dans les cellules myéloïdes et lymphoïdes à la fois. Ce nouveau financement va nous permettre de continuer à explorer la contribution directe et indirecte des cellules myéloïdes au maintien de réservoirs du VIH. Nous pourrons aussi tester les nouvelles cibles thérapeutiques identifiées dans des modèles précliniques et au travers d’études cliniques », explique-t-elle.
Les réservoirs du VIH sont des cellules et des tissus dans lesquels le virus persiste, malgré les traitements de trithérapie empêchant l’évolution de l’infection vers le syndrome d’immunodéficience acquise (sida). Pour vivre et se répliquer, le VIH a besoin d’être hébergé dans une cellule hôte et il se comporte comme un gène humain. En règle générale, il emménage dans les lymphocytes T CD4+ à longue durée de vie, des globules blancs responsables d’activer la défense du corps humain contre les infections.
Dans une partie des T CD4+, le virus s’endort et établit un réservoir qui est contrôlé, mais non éliminé par les trithérapies. Faisant l’objet d’intenses recherches, ces cellules réservoirs sont les derniers obstacles à l’éradication du virus et obligent les personnes vivant avec le VIH à suivre une trithérapie toute leur vie.
À l’origine de la fabrication d’autres types de globules blancs, les cellules myéloïdes, elles, évoluent dans le voisinage des T CD4+ et interagissent avec eux. Elles se trouvent non seulement en circulation dans le sang, mais aussi dans les tissus du corps humain. Certaines cellules myéloïdes dérivent des précurseurs tissulaires d’origine embryonnaire et peuvent se renouveler continuellement le long d’une vie.
Est-ce que les réservoirs du VIH peuvent se cacher dans les cellules myéloïdes tissulaires? Jusqu’à maintenant, il est difficile de répondre à la question sans avoir accès à des biopsies ou à de rares tissus profonds issus d’autopsies (deux cas en 2018).
Grâce au partenariat étroit établi entre CanCURE et la communauté des personnes vivant avec le VIH, Petronela Ancuta aura accès à ce type d’échantillons cliniques et essaiera de trouver des réponses scientifiques avec ses collègues, les Drs Eric Cohen (IRCM), Jérôme Estaquier (Université Laval), Jean-Pierre Routy (Université McGill), et Jonathan Angel (Université d’Ottawa), ainsi qu'avec toute l’équipe de CanCURE 2.0. Des essais sur des souris humanisées et sur des macaques sont aussiprévus.
« Prendre en considération le dialogue entre les cellules myéloïdes et les cellules T dans le fonctionnement du système immunitaire et dans la persistance des réservoirs du VIH est une nouveauté du projet CanCURE 2.0 », indique la chercheuse.
Pendant les cinq prochaines années, Nicolas Chomont et son collègue, le Dr Thomas T. Murooka (Université du Manitoba), s’intéresseront ainsi aux interactions cellulaires qui permettent l’établissement des réservoirs du VIH dans les lymphocytes T CD4+.
« Comprendre les discussions entre les cellules myéloïdes et ces lymphocytes, puis observer les impacts de cette communication permanente sur la persistance du VIH est un domaine encore peu étudié », précise Nicolas Chomont, récent président du comité scientifique des journées québécoises du VIH et partisan d’un sain esprit de collaboration au sein de cette communauté scientifique.
Une histoire de science et de… hasard
Quant au financement des IRSC obtenu par l’équipe menée par Andrés Finzi, il découle directement des récents travaux du chercheur.
Dans le journal Cell Host & Microbe, une équipe internationale, réunie à l’initiative d’Andrés Finzi, montrait comment elle avait réussi à visualiser une configuration du VIH auparavant inconnue et à révéler une image très détaillée de ses faiblesses. Cette percée majeure a été rendue possible grâce à l’utilisation d’un « ouvre-boîte » moléculaire qui expose des parties de l’enveloppe virale pouvant être ciblées par des anticorps.
« Peut-on stabiliser cette conformation vulnérable in vivo dans des modèles animaux? Si oui, est-ce que son exposition permettra l’éradication de cellules infectées et réduira la taille des réservoirs VIH? Grâce à cette subvention, nous pourrons apporter des réponses », explique Andrés Finzi.
Daniel Kaufmann souligne que le succès de cette demande aux IRSC se fonde sur des avancées techniques et conceptuelles très complémentaires de deux laboratoires de recherche. D’un côté, celui de Finzi de l’autre celui de Kaufmann qui, en 2016, avait permis d’améliorer considérablement la caractérisation des réservoirs viraux et d’affiner les méthodes de quantification du réservoir viral latent.
Mais, pour tester aujourd’hui le concept sur les animaux, nos deux hommes ont pu compter sur l’apport d’un facteur non négligeable en recherche : le hasard. Un hasard qui s’est personnifié, lors d’une conférence donnée au CRCHUM, sous les traits de la Dre Priti Kumar de l’Université Yale, experte des modèles animaux. La collaboration née de cette rencontre illustre bien l’importance du brassage des idées lors des conférences scientifiques hebdomadaires organisées par le centre de recherche.
« Sans cette chercheuse de haute volée, notre étude n’aurait pas pu prendre son envol. Cet apport remarquable à notre équipe nous permettra de démontrer sur des souris humanisées la pertinence clinique de notre approche », explique Andrés Finzi.
Bien que beaucoup de travail reste encore à faire avant de pouvoir traduire les futurs résultats de ces recherches chez l’humain, les percées accomplies par nos quatre chercheurs constituent un formidable pas en avant dans la lutte contre le VIH.